Les douleurs chez l’enfant : encore des progrès à faire !
Bien que la prise en charge de la douleur de l’enfant se soit améliorée, beaucoup de chemin reste à faire, notamment en ville, où malheureusement celle-ci demeure globalement insuffisamment soulagée, surtout pour les douleurs d’intensité moyenne ou forte.
Le Dr Chantal Wood (Unité de la douleur, Hôpital Robert Debré – Paris) aborde différents aspects de cette importante préoccupation.
Existe-t-il des différences dans la prise en charge de la douleur chez l’enfant par rapport à l’adulte ?
Il existe des situations très différentes mais contrairement à certains a priori, la douleur de l’enfant peut être aussi complexe que la douleur de l’adulte. Il ne faut surtout pas la banaliser et s’attacher à la prendre en charge, avec ses spécificités, aussi bien que celle de l’adulte. Les douleurs abdominales, par exemple, que l’on voit si souvent, sont de vraies et authentiques douleurs. Ayant souvent pour origine des spasmes digestifs, il peut s’agir de douleurs de stress, chroniquement récidivantes. Dans ce cas, plutôt que de prescrire des antalgiques au long cours, il est préférable d’apprendre à ces enfants à lutter contre le stress, d’où l’intérêt dans ce cas des méthodes non médicamenteuses. Une prise en charge efficace implique parfois de dénouer une histoire familiale inavouée. C’est possible à partir de 6 à 7 ans, l’âge où l’on commence à avoir ses pensées à soi.
En effet, la douleur n’est pas qu’un signe physique. Interviennent des composantes affective, émotionnelle, cognitive – entendu dans le sens des processus mentaux qui entourent la sensation douloureuse – et comportementale, c’est à dire la manière dont on exprime la douleur, verbalement ou non.
Comment faut-il procéder en pratique ?
Le recours aux antalgiques doit toujours être précédé et associé à une évaluation systématique de la douleur, si possible en ayant recours à une échelle validée, adaptée à l’âge de l’enfant.
Jusqu’à 4 ans, on utilise des échelles comportementales, entre 4 et 6 ans on peut avoir recours à une auto-évaluation simplifiée et à partir de 6 ans l’enfant peut s’évaluer lui-même.
Voici quelques noms d’échelles actuellement utilisées : DAN : Douleur Aiguë Nouveau-né, EDIN : Echelle Douleur et Inconfort du Nouveau-né et du prématuré, EVA : Echelle Visuelle Analogique, Echelle des visages…
Quel produit employer ?
L’antalgique doit être d’emblée adapté à l’intensité de la douleur (choix de la molécule et posologie) et la situation doit être ré évaluée en tenant compte du délai d’action de l’antalgique et de la voie d’administration, cela afin d’apporter les éventuelles modifications nécessaires sans perdre de temps. C’est notamment vrai pour l’aspirine, le paracétamol et l’ibuprofène qui doivent être administrés en première intention à leur posologie maximale. Rappelons à ce propos que celle du paracétamol a été officiellement doublée en 1995, passant de 30 mg à 60 mg/kg/j. Les prises en alternance avec l’aspirine, habitude très « franco-française » et sans fondement scientifique, ayant été dans le même temps peu à peu abandonnées.
Il faut éviter de donner de l’aspirine chez le jeune enfant qui souffre d’une infection virale aiguë s’accompagnant d’une forte fièvre. Prudence également avec l’ibuprofène à la suite de quelques rares accidents récents, dans l’attente d’y voir plus clair.
Il faut aussi veiller à hydrater correctement et régulièrement l’enfant, auquel cas la vasoconstriction des extrémités s’opposerait à la diffusion de la chaleur interne vers l’extérieur. Boire aide donc à la baisse de la fièvre, faisons en sorte de ne pas l’oublier !
La prise en charge en ville vous semble-t-elle satisfaisante ?
Non, car je constate une sous-utilisation en ville des produits classés comme « moyennement forts » et « forts », correspondant aux paliers 2 et 3 de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui ne sont quasiment pas employés, résultat d’une crainte à la prescription de ces produits alors que l’enfant n’est pas correctement soulagé de sa douleur. Pourtant des solutions existent.
Qu’existe-t-il pour le palier 2 ?
Les indications concernent notamment toutes les pathologies ORL, les douleurs en post opératoire, surtout dans le cadre du retour à domicile faisant suite à une amygdalectomie ou une fracture avec déplacement. En pratique, nous disposons de plusieurs médicaments aisément utilisables en ville.
Je fais notamment référence à la codéine et aux produits associant codéine et paracétamol.
Le sirop de codéine peut être employé dès l’âge de 1 an et certaines association codéine + paracétamol à partir de 3.
Enfin, le dextroproxyphène est indiqué seulement à partir de 15 ans. En septembre dernier, un nouvel antalgique de palier 2 présenté en gouttes buvables a été commercialisé en ville.
Ce produit, utilisé en Allemagne depuis une vingtaine d’années, peut être administré à partir de 3 ans. Il faut espérer que l’arrivée de ce nouveau médicament relancera l’intérêt en ville pour le palier 2 qui demeure, comme je l’ai déjà souligné, nettement sous-employé. Cela étant, les essais sur ce médicament ayant mis en évidence la survenue de convulsions, il convient, par prudence, d’éviter de l’administrer chez les enfants ayant des antécédents d’épilepsie ou ayant eu des convulsions fébriles.
Et concernant le palier 3 ?
L’année dernière a été enfin commercialisée une suspension buvable de morphine remboursée par la Sécurité sociale. Son délai d’action est rapide de l’ordre d’une vingtaine de minutes.
C’est un progrès significatif car jusqu’ici les morphines buvables n’étant pas remboursées, la patient devait prendre de la morphine injectable qui a mauvais goût.
L’âge minimal d’emploi de la morphine par voie orale demeure 6 mois. Il existe également des gélules de morphine utilisables à partir de 6 mois , et des comprimés à partir de 6 ans.
Les patch d’un dérivé de la morphine existent seulement à des dosages adulte et ne sont utilisables que pour les grands enfants.
Quels sont les autres progrès que vous avez identifiés ?
Un autre progrès très important à mes yeux concerne le développement des techniques non médicamenteuses chez l’enfant. C’est ainsi que dans mon hôpital, nous utilisons beaucoup les « distractions », les bulles de savon (jusqu’à 8 – 10 ans), l’hypnose (à partir de 3 ans), la relaxation, sophrologie, détente, musicothérapie, les« certificats de courage »… Je crois qu’il est essentiel, devant toute douleur, de savoir quelle note est donnée à la douleur par le patient ou ses parents. L’échelle des visages est utilisable à partir de 3 – 4 ans, l’échelle visuelle analogique (EVA) est plus adaptée à partir de 5 – 6 ans. De déterminer le type de douleur, la part de l’angoisse, les circonstances d’apparition. Il faut évaluer et ne pas se contenter de son « impression » clinique. Toutes ces technique sont utilisables en ville. Or les généralistes et les pédiatres les utilisent actuellement très peu.
Enfin, l’expérience montre que l’approche que nous appelons multimodale, associant aux antalgiques, les anti-inflammatoires, les anxiolytiques, voire d’autres classes de médicaments, est souvent beaucoup plus satisfaisante que la prescription systématique d’antalgiques seuls, même puissants.
En savoir plus
Paracétamol :
- Posologie maximale, voie orale : 60 mg/kg/jour
- Les administration doivent être espacées de 6 heures
Codéine :
- Le sirop de codéine seule est utilisable à partir de 1 an jusqu’à 5 à 6 ans.
- Il s’agit d’un sirop dosé à 1 mg par ml. La posologie recommandée est de 1 mg /kg, 4 fois par jour ; au maximum 6 fois par jour.
Ibuprofène :
- Suspension buvable à 20 mg/ml : De 3 mois à 15 ans : 20 à 30 mg/kg/jour en 3 à 4 prises espacées de 6 à 8 heures
- Comprimés à 100 mg : De 6 ans à 15 ans : doses identiques.