La maternité du côté des pères
L’annonce d’une naissance à venir suscite-t-elle parfois des inquiétudes chez les futurs pères ?
Agnès Moreau : Apprendre que l’on va devenir père entraîne des transformations psychiques qui se mettent en place plus ou moins difficilement chez certains hommes, et pas forcément pour la première paternité mais aussi pour la 2ème, la 3ème…Parfois, certains présentent une crise intense, où les désirs de ruptures de couple et les passages à l’acte priment sur l’élaboration psychique.
La raison en est simple : les hommes se sentent souvent chargés d’un rôle très important à l’arrivée d’un enfant. Un rôle de soutien de leur compagne et du bébé. Ils ont une place importante à jouer, et le sentiment de cette responsabilité peut parfois les vulnérabiliser. On remarque que les hommes participent de plus en plus aux échographies, et l’impact de ce réel dans le processus de la paternité peut provoquer chez certains des angoisses ou des mouvements dépressifs.
La paternité n’a donc rien d’inné et serait, au contraire, une construction progressive avec des réaménagements psychiques successifs ?
A.M. : Il y a une temporalité spécifique à la paternité du fait que l’homme ne porte pas le bébé, et n’a donc pas d’expériences sensorielles pendant la grossesse. En fonction de l’histoire de chacun et du moment de la grossesse dans la vie du couple, il va y avoir un travail psychique spécifique. Pour certains hommes, ce sera quand le bébé sera là que ce travail se fera.
Il s’agit d’un travail de retour sur le bébé qu’on a imaginé être, des parents qu’on a imaginé avoir eu, et ce travail commence grâce aux étapes du réel qui jalonnent la grossesse : échographies, révélation du sexe de l’enfant…C’est aussi un travail sur la place de l’homme dans le couple, dans sa famille et dans sa fratrie.
Retrouvez-vous des pathologies de la paternité qui reviennent fréquemment ?
A.M. : Le plus fréquent, c’est la rupture conjugale en fin de grossesse, ou dans les tous premiers mois de la vie du bébé. Plus rarement, l’homme peut aussi se mettre à avoir des conduites addictives (alcool, toxicomanie…) ou des maladies somatiques (migraine, nausées, eszéma…). Enfin, dans certains cas, le futur père peut sombrer dans des pathologies lourdes.
Il peut s’agir, par exemple, d’un état délirant qui se déclenche au moment de l’accouchement ou après. Ou bien des états psychotiques, paranoïde, où l’enfant est vécu comme persécuteur. Il peut aussi y avoir un déni de la filiation, voire, un délire sur la filiation.
Et le syndrome de couvade ? Que recouvre-t-il exactement ?
A.M. : La couvade est un besoin inconscient chez certains hommes de participer à la grossesse et à l’accouchement de leur compagne. Auparavant, lorsqu’un homme devenait père, il y avait en effet une ritualisation que l’on appelait « couvade ». Mais dans nos sociétés, ce rituel a disparu.
Pour certains, il existe donc un manque pour symboliser ce passage de l’état d’homme à l’état de père et chacun se débrouille alors avec les moyens du bord. Du coup, il arrive que certains pères aient des nausées ou prennent du poids… C’est ce qu’on appelle le syndrome de couvade. Cependant, ces symptômes disparaissent ensuite et ne sont pas considérés comme pathologiques.
On a le sentiment que l’on incite beaucoup le pères à être présents au moment de l’accouchement, mais certains d’entre eux paraissent profondément choqués suite à cet événement. Que pensez-vous de cette présence en salle d’accouchement ?
A.M. : Mon avis est qu’il faut respecter les résistances et les difficultés de chacun. Si un homme ne se sent pas prêt, il ne faut pas qu’il subisse une pression idéologique. Cependant, les équipes des maternités savent assez facilement repérer un père qui ne veut pas ou n’est pas prêt à assister à l’accouchement.
Quels conseils peut-on donner aux pères pour vivre au mieux la maternité ?
A.M. : Un conseil serait d’encourager les femmes à laisser les hommes jouer leur rôle de père. Et comme il est souvent difficile pour les hommes de se représenter comme un père différent du leur, il faut leur permettre d’accéder à leur propre créativité, différencier leur paternité de la paternité de leur père, et les ouvrir sur la créativité de leur propre paternité…